Maris Patch, Juillet 1995

Réveille-toi, espion !

De la chute du KGB à l’avènement du FSB : l’heure est au choix pour les fantômes de la guerre froide

MOSCOU – Le Kremlin a beau avoir changé de locataire, la Russie de Boris Eltsine n’a pas abandonné les pratiques de l’URSS. Loin de là. Le tentaculaire KGB a certes été démantelée après le putsch raté d’août 1991, mais le vide qu’elle a laissé a été comblé par de nouvelles entités, tout aussi puissantes. La création, en avril 1995, du Service fédéral de sécurité (FSB) est le point culminant de cette restructuration qui, loin de clore le chapitre de l’espionnage russe, en ouvre un nouveau, plus insidieux. Pendant que le monde acclame la fin de la très démodée guerre froide, les agents dormants du KGB, dispersés à travers l’Occident, reçoivent peut-être de nouveaux ordres, émis par des maîtres tout aussi exigeants que les anciens. La revanche aux lèvres, et l’amertume du coup d’Etat loupé de 1991 encore dans les mémoires.

Le démantèlement, une illusion pour l’Occident

Après 1991, l’Occident a cru assister à une véritable révolution. Le KGB, responsable de millions de morts et de décennies de terreur, semblait avoir été définitivement neutralisé. Une partie de ses fonctions, notamment l’espionnage à l’étranger, a confiée au nouveau Service de renseignement extérieur (SVR). Mais le contrôle de la sécurité intérieure et du contre-espionnage est passé entre les mains d’agences provisoires, avant la création du FSB par le président Eltsine, il y a quelques mois. La nouvelle agence est le véritable héritier du KGB, non seulement pour ses missions, mais aussi pour ses méthodes. En effet, de nombreux agents du KGB ont été transférés sans encombre vers les nouvelles structures, conservant leur expertise et leur réseau d’informateurs.

L’heure du réveil pour les « illégaux »

Pour les centaines d’agents dormants qui ont passé des années, voire des décennies, à s’intégrer à la vie occidentale, le changement est de taille. Alors qu’ils avaient été « mis en sommeil » après 1991, certains reçoivent aujourd’hui des appels, des messages codés, leur signalant la réactivation de leurs missions. Pour les moins motivés, ou ceux qui ont réussi à s’épanouir dans leur vie parallèle, il s’agit d’un choc brutal. Pour d’autres, c’est l’opportunité de continuer à servir un pays qui leur a offert le frisson permanent.

Un nouvel ennemi, de nouvelles cibles

Mais l’ennemi n’est plus le même. Si l’ancienne Union soviétique visait la domination mondiale, la Russie post-soviétique se bat pour sa survie économique. Les nouvelles cibles ne sont plus seulement les secrets militaires de l’OTAN, mais aussi les informations sur les technologies de pointe, les innovations commerciales et les personnalités influentes. Le nouvel objectif est d’acquérir le pouvoir et l’argent qui ont été perdus lors du démantèlement de l’URSS.

Leçons de la trahison et de la survie

Cette période de transition a également été une opportunité pour les services de renseignement occidentaux. Grâce à des transfuges comme Vassili Mitrokhine, la CIA et le MI6 ont pu démasquer de nombreux espions dormants, et recruter de nouveaux informateurs parmi les anciens agents du KGB désabusés par la corruption du nouveau système.

Au final, la fin du KGB n’a pas mis fin à la guerre de l’ombre. Elle n’a fait que la transformer. Et alors que la Russie renoue avec ses vieilles habitudes, et que le FSB s’affirme comme le digne successeur du KGB, les espions dormants reçoivent leur ordre : réveillez-vous. Le bal n’est pas encore terminé.

Jean B.

Maris-Patch