Après de nombreuses péripéties, plusieurs séances de corrections acharnées et d’innombrables heures de réflexion, Mélodie en haine mineure s’apprête enfin à franchir une nouvelle étape. Mais chut… c’est encore un secret.
Cela dit, je ne résiste pas à l’envie de vous en dévoiler quelques extraits. Vous me connaissez, je ne suis pas avare en la matière… Alors, pourquoi ne pas plonger directement au cœur du procès d’Antoine Duzier ?
Et si nous tendions l’oreille, quelques instants, à la plaidoirie de Me Fleuve fils ?
Nous sommes le lundi 15 novembre 1993. Il fait froid. Me Fleuve fils se prépare à entrer dans l’arène. Son tour est venu !
Extrait :
Dans l’étroite cour où se garaient habituellement les fourgons cellulaires de l’administration pénitentiaire, maître Pierre Fleuve faisait les cent pas. La cigarette au bec, l’écharpe bicolore flottant nonchalamment sur l’épaule et le nez au vent bravant la bruine, ce dernier opérait de grandes enjambées d’égale distance en récitant son texte tel un mantra. Pour sa dernière année de stage, le jeune avocat était verni. Son père, le plus réputé des ténors hennuyers, avait décroché la timbale, se donnant pour mission de défendre l’indéfendable. Antoine Duzier, le tireur fou.
(…)
« Dix-huit ans aujourd’hui, à peine dix-sept au moment des faits. Dix-sept ans… Permettez-moi de vous exposer les circonstances qui ont façonné la vie tourmentée d’Antoine Duzier, un jeune homme dont le destin a été marqué par des épreuves tragiques dès son plus jeune âge. Comme le disait l’écrivain Victor Hugo, il y a dans chaque cœur humain une fibre qui, si on la savait toucher, rendrait bon, sensible et humain jusqu’au plus méchant d’entre nous.
Né dans une cité ouvrière à la frontière franco-belge, Antoine a grandi dans un environnement familial empli de tensions. Une sorte de microcosme si tendu que son grand-père s’est vu octroyer la garde du gamin. Antoine savait à peine parler. Une garde de quelques années. Du moins jusqu’à ses huit ans. La mort du vieil homme, contrairement à ce que disent Messieurs les experts, a été un véritable traumatisme pour le jeune Antoine. J’en veux pour preuve cette tentative de suicide, dont j’ai retrouvé le procès-verbal et les documents hospitaliers qui s’y réfèrent. Huit ans. Pièces que vous daignerez bien, Monsieur le Juge, faire porter au dossier et vous, Mesdames et Messieurs les Jurés, prendre en considération. Huit ans !
Dès son entrée à l’école, Antoine a été confronté à certaines difficultés d’apprentissage qui ont étonnamment suscité la méfiance des enseignants et par destination le rejet de ses camarades. Oui. Rejeté, incompris et laissé pour compte, il s’est peu à peu renfermé sur lui-même, se construisant une carapace face à un monde qui ne semblait pas vouloir de lui. Aurait-on pu faire davantage pour tendre la main à ce jeune homme désespéré ? Aurions-nous pu lui offrir une oreille attentive et une épaule sur laquelle pleurer ? Antoine a choisi d’autres moyens d’expression, comme la violence. Mais n’est-ce pas là le chemin qu’on lui a montré, une route toute tracée vers le crime ? Pourquoi ? »
La salle se souleva telle une lame de fond. Des mécontentements montaient des bancs. On tapait des pieds, on soufflait. Pierre Fleuve prit une inspiration, s’imprégna du titre de son deuxième argument : Un système qui l’a largué. L’avocat avait tapé dans le mille.
« Malgré ses difficultés, Antoine a cherché à obtenir de l’aide et du soutien auprès de l’éducation nationale si l’on peut la nommer de la sorte. Malheureusement, les réponses apportées à ses besoins étaient insuffisantes, voire inexistantes. Des avis d’experts de l’époque l’attestent. Oui, l’attestent. De nombreuses écoles l’ont exclu, le laissant sans repères ni accompagnement, exacerbant ainsi son sentiment d’abandon et de colère envers un système qui l’a largué à répétitions. L’éducation n’est-elle pas l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer, à commencer par soi-même ?
Les juges pour enfants, responsables de son suivi judiciaire, n’ont pas non plus su déceler la détresse qui rongeait Antoine. Les signaux d’alarme auraient dû être pris en compte. Très tôt déjà. Mais ils sont passés inaperçus, laissant ce jeune homme à la dérive, livré à lui-même dans un monde où il n’est parvenu à trouver aucune boussole morale, aucune bouée à laquelle s’accrocher, aucun havre de paix où faire relâche. Mesdames et Messieurs les Jurés, pouvons-nous ignorer les lacunes de notre système judiciaire et accabler Antoine et uniquement Antoine? Un système qui n’a pas su tendre la main à un adolescent perdu! Où étaient les autorités lorsqu’Antoine a tenté d’empoisonner ses camarades et quelle a été la réponse du système d’ailleurs? Le renvoi. Et lorsqu’il a piégé des serviettes de table ou fait exploser une bombe artisanale dans les toilettes de l’école? Le renvoi. Quelle était donc la posture des autorités face à Antoine qui faisait de mal en pis. Eh bien, je vais vous le dire : Les autorités étaient dans le constat. Le constat et rien que le constat. Le système, en se soulageant d’Antoine, a mis en danger ceux qu’il est censé préserver. Y a-t-il eu un jour des mesures adéquates? Non. Aucune. Qu’a-t-on apporté comme réponse à la famille qui, elle aussi, se trouve être une victime d’Antoine? On lui dit : Reprenez-le, débrouillez-vous. Nous, on ne peut plus rien en faire. Après tout, qui l’a mis au monde? Sous-entendant ce monstre. Qui? Et que faisons-nous aujourd’hui? Un constat. Oui, un constat qui se terminera par un jugement, mais qui ne résoudra rien, ne réparera rien. Combien d’autres Antoine faudra-t-il à ce système défaillant? Combien de Davy, de Stéphanie et de Gaby? Constatez! Constatez! Constatez!»
Fin de l’extrait.
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