Entretien avec Alexandre HOS
À propos de Mélodie en haine mineure, roman à clés à paraître (octobre 2025)
Interview menée par Tom Roussel, ex-flic et personnage principal du roman
Préambule
Dans cette série d’articles qui accompagnera la sortie du roman Mélodie en haine mineure (prévue le 13 octobre 2025), c’est Tom Roussel — personnage central du livre — qui prend les commandes. Premier à interroger son propre créateur, Alexandre HOS, il gratte la surface du roman, du réel et de l’auteur. Une discussion à voix basse, tendue, mais franche. Comme dans les bons vieux polars.
Tom Roussel : Pourquoi t’es-tu mis à écrire Mélodie en haine mineure ?
Qu’est-ce qui t’a poussé à remuer ce passé, à ressortir des figures comme moi, comme Duzier, comme Dugassi ?
Alexandre HOS :
Pourquoi j’ai écrit Mélodie en haine mineure ? C’est une question qui me hante depuis que j’ai commencé ce manuscrit il y a près de trois ans maintenant.
La vérité, c’est que tout est parti d’un fait divers : l’affaire du « tueur fou de Mouscron », en 1992. J’avais 19 ans à l’époque. Cette histoire m’a marqué en profondeur. Pas seulement par sa violence mais surtout par son absurdité. Faut que j’avoue quasi qu’elle m’a touché de près puisque durant des années j’étais presque voisin du tueur et je passais chaque jour devant chez ses parents pour aller à l’école.
Avec le temps, le spectre de cette affaire a stagné en moi. J’ai toujours été attiré par le roman à clés — partir du réel, le déformer, le tordre pour dire quelque chose de plus vaste. J’en ai d’ailleurs publié plusieurs. Le roman à clés, c’est devenu une marque de fabrique : Tueries du Brabant, attentats de Bruxelles, génocide rwandais, COVID-19… et j’en passe.
Alors j’ai pris cette matière brute et je l’ai travestie. Je ne voulais pas faire un reportage : je voulais créer une atmosphère, une vibration. Et des personnages capables de la porter. Toi, Tom. Mais aussi Duzier. Dugassi. Ceux qui tombent. Ceux qui se relèvent. Ceux qui mentent en silence. Ceux qui tuent.
Tom Roussel : D’accord pour l’origine. Mais qu’est-ce que tu voulais faire passer vraiment ? Est-ce que ce n’est pas un roman sur l’hypocrisie sociale ? Sur les institutions qui ferment les yeux aussi ?
Alexandre HOS :
1992, c’est pour moi la vraie fin des années 80. L’enterrement de l’insouciance et des années fric où tout était possible. Le Mur est tombé, d’autres se sont érigés un peu partout dans le monde.
Le moment où tout bascule. Surtout dans le Hainaut, cette région à la frontière franco-belge. Le textile s’était effondré, les agences en douane disparaissaient, les anciens repères s’évaporent. Un chaos économique rampant. L’empilement de la douleur socio-économique pour les classes moins favorisées.
Ce contexte, ce décor, je le voyais comme une caisse de résonance idéale pour un roman à clés. Pas pour coller au réel, mais pour le transpercer. Il y a là une tension sociale, une nervosité diffuse, un climat de repli — parfait pour semer des graines de violence et de fiction. D’ailleurs la réalité en atteste.
Et oui, bien sûr, il y a un fond d’accusation dans ce roman. Le fait divers de départ, quand on s’y penche, révèle que certaines institutions ont peut-être failli. Services sociaux, magistrats, police… tout le monde a fermé les yeux, minimisé, esquivé. Jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Ce n’est pas un roman à charge, mais ce n’est pas un roman complaisant non plus.
« En ce mois d’août, le quartier du Nouveau-Monde était calme. Les congés du bâtiment étaient déjà loin, mais la plupart des autres ouvriers n’en étaient qu’à leur seconde semaine de vacances. Ils étaient nombreux à avoir délaissé le pavé des trottoirs pour la terre battue des campings situés le long du littoral belge. Les plus chanceux avaient stationné leur caravane en Bretagne. Les plus rupins sirotaient des petits jaunes en bord de Méditerranée. Du côté de la Costa Brava, ceux-là profitaient d’être sur place pour acheter des objets en cuir qu’ils ramèneraient pour Tata Sylvianne ou Pépé Hilaire.»
Tom Roussel : Parlons de Fantômas. Pourquoi ce nom-là ? C’est un choix étrange. Un masque littéraire un peu grotesque, non ?
Alexandre HOS :
Pas du tout de chez pas du tout.Je n’ai rien inventé. Fantômas, c’est le pseudonyme que le véritable tueur s’était donné. Il signait ses lettres comme ça. Il envoyait des courriers à la police, à la commune… et se présentait sous ce nom. C’était réel.
Pourquoi lui a-t-il choisi ce nom-là ? Aucune idée. J’ai posé la question à un ancien gendarme qui avait travaillé sur l’affaire à l’époque — il n’avait pas de réponse non plus. Fantômas, c’est un choix déroutant : une figure presque ringarde, mais qui dit beaucoup. Une façon de se masquer, de jouer avec le mythe. Et peut-être de se sentir intouchable. Et ce rire glacial !
« … seconde édition du journal de la matinée de ce mercredi 26 novembre 2014. Judiciaire d’abord. Celui qui se faisait appeler Fantômas et qui avait terrorisé entre les mois d’août et septembre 1992, la ville de Mourcoing, n’est plus. En effet, Antoine Duzier, mineur au moment des faits et surnommé le tireur fou, est décédé samedi dans sa cellule de la prison d’Andenne, “sans intervention d’un tiers”, précise le Parquet.»
Tom Roussel : Tu es allé loin dans ta recherche. Tu as vu des témoins, interrogé d’anciens flics. Mais on n’est pas dans un docu. Alors je te repose la question : Mélodie, c’est un polar ? Un règlement de comptes ?
Alexandre HOS :
J’ai fait mes devoirs. J’ai rencontré plusieurs anciens gendarmes, avocats et magistrats. J’ai lu des articles de l’époque, j’ai parlé à des gens qui ont été proches de l’affaire — certains, même, qui l’ont vécue de très près.
Mais non, ce n’est pas un documentaire. C’est un roman à clés. J’ai pris soin de tracer une ligne — fine, mais claire — entre le réel et la fiction. Et j’ai essayé de tenir l’équilibre. Ce qui m’intéresse, c’est la friction entre ce qu’on sait et ce qu’on sent. Ce qu’on tait, surtout.
Oui, c’est un polar. Un vrai. Avec ses codes, ses tensions, ses retournements. Mais il y a sans doute aussi un côté cathartique. Certains personnages sont directement inspirés de gens que j’ai connus. Des proches. Des fantômes. Ils sont devenus des personnages, bien malgré eux. Ils se reconnaîtront.
Tom Roussel : Bon. Parlons du titre. Mélodie en haine mineure. D’où il sort ? C’est une trouvaille ou une confession ?
Alexandre HOS :
Le titre m’est venu sans prévenir. Il s’est imposé, presque d’un bloc. Parce que cette histoire, je la voyais comme une sorte de musique. Avec ses montées, ses silences, ses refrains. Une partition déréglée, avec des fausses notes, des thèmes qui reviennent.
Mineure, parce que le tueur — dans le réel comme dans le roman — était mineur au moment des faits.
Haine, parce qu’elle est omniprésente. Sourde ou violente. Et parce qu’au procès de 1993, que j’ai suivi en vrai, elle flottait dans l’air comme un gaz invisible.
Le titre est venu de là. Peut-être aussi en clin d’œil à certains auteurs ou scénaristes que j’admire. Mais surtout parce qu’il disait tout, sans rien expliquer.
Tom Roussel : Tu veux dire un mot aux lecteurs avant qu’ils plongent dans l’affaire ?
Alexandre HOS :
Rien de plus qu’une invitation : suivez les prochains articles. J’en publierai une dizaine avant la sortie du roman, prévue le 13 octobre 2025. Abonnez-vous si ce n’est pas déjà fait, et restez à l’écoute.
Et toi, Tom… même si tu n’es qu’un personnage fictif, tu resteras mon grand interviewer pour cette série.
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Prochain article :
Mourcoing, ville grise, ville vraie — le décor invisible de Mélodie en haine mineure